Avoir saigné un jour pour Sarajevo
Pour Goma, pour Beyrouth, même incognito
Et puis laisser courir les cicatrices du monde
Un autre viendra qui fera entendre sa voix
Mais ne pas parler d’amour, même incognito
Trop de feu, trop de sel
Trop de fiel, trop de peau
Avoir tremblé sur la brèche des barricades
Et lancé des pavés dans la mare des mots
Réserver des places chaudes pour du vent
Et puis sourire à tant et tant de pas perdus
Ne pas penser d’amour, même incognito
Trop de lourd, trop de miel
Trop de plomb, trop de mots
Les fous de dieux se mettent à calculer
Leurs révolutions comme des apothicaires
Leurs poisons ne pas confondre l’ineffable
Avec le manque de vocabulaire
Ne pas écrire d’amour, même incognito
Trop de froid, trop de gel
Trop d’émine, trop d’ego
Sur les artères de la planète, des points d’ancrage
De nos désirs noués au ventre qui tenaille
Il n’y a plus de centre, et nous ne savons rien
Et c’est tant pis pour le cri du corps assourdi
Ne pas chanter d’amour, même incognito
Trop de fière, trop de jeu
Trop de lutte trop de peu
Colette Cambier
Wez, mai 1996