Nous dormions dans nos mots, déjà saouls de lumière et de nuit, lorsqu’un frôlement, un mouvement furtif, une aile, non pas une aile, quelqu’un est passé près de nous.
Rêve précaire sur la rose Au fond des temps Elle tournera sans fin
S’arrêter au lieu de nous, au centre de gravité de nos soleils, dans l’ombre où prend le feu, au point du jour blanc qui va accoucher
Colette Cambier Textes Identi-Terre, des racines et un arbre. Illustrant photos immigrés. Exposition Tourisme Tournai. juin 2016
A l’initiative du PAC et des Ecrivains publics, en collaboration avec Unimuse et la Maison de la Culture, Inattendues, le festival de philosophie de Tournai accueille le projet « Identi-TERRE ». Il s’agit d’une exposition à l’Office de Tourisme et sur la place de l’Evêché et d’une publication de 32 portraits de personnes venant de différents coins du monde, toutes illustrées par le poème ou le petit texte d’un écrivain.
Au bout de la nuit, aveugle Il y a toujours un autre possible Echangerais un fantôme ivoire contre un De Profundis, ou deux petits caillés contre le tunnel de la négritude. J’ai aussi un bout d’innocence à proposer contre ce tas de poussier. Ou encore un soleil inondé délavé contre un carré de luzerne noire.
L’envers de l’envers les soustractions des contraires Le monde se plisse et tourne de l’œil tu t’encres le doigt un bruit noir souffle sur la Chine des peurs en chaîne — viens avec moi —
Et toi qui t’es mis à écrire Pointe creux pointe glissement Je peux dire ce qui sort du noir — mais pas plus — une erreur dans le Tao la demoiselle en camisole pâle un jour imparfait épelant sa grammaire des cris de seul à seul Ce bruit noir fait son lit comme il se couche
Je ne peux pas dire que je regrette C’est si chaud le noir quand ça brûle pour deux
C’est ainsi que l’enfant J’apprends à écrire par tags et lueurs C’est ainsi que l’enfant dans la nuit des temps Tu m’aspires non fini je te plume de pie tu me glauques une aspirine par dessus et voilà Il faut bien le dire Nous sommes des carnassiers des prédateurs bref nous aimons le Verbe Et y planter les dents
Ce noir devrait être rouge Il y a toujours un autre possible
L’insulte ou l’invocation monte à la gorge mais pas plus haut Noir noir ou noir noir noir ? J’ai appris à écrire dans le journal d’anthracite des signes de fougères
C’était pendant le jurassique — Bien Il y a des brèches osseuses dans le squelette de l’humanité Et l’enfant Une figure de craie une géométrie erratique l’horizon se virgule et j’en passe au jaune
Entrer donc dans la nuit s’absoudre de tant de noirceur Le noir a encore grandi je ne sais qu’en faire Il a encore grandi Et l’enfant Aussi
Colette Cambier Texte d’après une gravure pour l’expo Christian Rollet, Tournai 2003
Tu prends le mot « papier ». Tu le prends en mains et tu le caresses du bout des doigts. Tu le touches, tu l’empreintes, tu l’embrailles à l’éveuglette. Tu le déchiffres du bout des doigts, de l’extrémité de la pulpe. Tu reconnais – tu pars en reconnaissance. Du lisse et du rugureux, du moiré, du ciré
Tu prends le mot « papier » Et tu le prononces en claquant les lèvres, en tirant des bulles Et le mot « papier » se met à palpiter, à pavoiser, à papelarder À plier les syllabes — résonance du pa — Tu prends le mot « papier » Tu le délies, tu le détisses, tu le défibres Et le mot « papier » se soutient du roseau Et le mot « papier » résonne sur « papyrus » Tu le déplies, tu le tires vers plus loin, tu dévides le fil Arrive le mot « parchemin », qui s’enroule, s’apparente, s’enconconne pareillement. Tu prends le mot « papier » et tu le chatouille de la plume, tu l’agaces, tu le fais frissonner, tu l’enquiquines. Tu le noircis, tu l’enlumines, tu l’enlettrines Et le mot « papier » se prend au mot, s’emporte, s’entortille Oh, l’alchimie de l’encre et du mot, du verbe et du support De l’image et de la matière
Tu prends le mot « papier, disais-tu ? C’est lui qui te prends, qui t’absorbe, qui boit ta pensée C’est le mot « papier » qui te vampirise, qui te suce tes mots Tu prends le mot « papier » et oui ! C’était hier
Maintenant, tu prends le mot « texte » ou le mot « poème » ou le mot « œuvre » Et tu les prends en mains Tu les caresses du bout des doigts Tu les touches, tu les empreintes Tu les embrailles à l’aveuglette Et tout est à recommencer
J’aurais aimé le naturel, la spontanéité — en d’autres temps, en d’autres lieux — mais comment voulez-vous après avoir fait l’exercice plus de vingt fois ? J’aurais aimé Bruxelles le dimanche si on avait continué les dimanches sans voiture comme en 74. J’aurais aimé Tournai la semaine, j’aurais aimé, oui, si les circonstances de la vie m’avaient amenée à vivre en Province. J’aurais vécu une autre vie. J’aurais aimé la grand-place de Bruxelles et la kriek, si je l’avais testée. Je suis une femme prudente. J’aurais aimé goûter les bières avec ma sœur si j’avais eu une sœur. Et si j’en avais eu deux, trois, cinq ? vous imaginez : cinq sœurs ? on aurait fait guindaille ensemble. On se serait donné rendez-vous sur la grand-place de Bruxelles, un soir d’hiver. J’aurais même aimé les soirs d’hiver quand les pavés luisent sous les lampadaires. J’aurais aimé les moules frites si ma grand-mère ne m’avait toujours menacée « attention, si tu manges des moules, tu vas attraper la grosse tête ! » On était à la mer quand elle me disait ça, ma grand-mère. J’aurais bien aimé ma grand-mère si elle n’avait pas dit… J’aurais aimé entrer chez Léon avec mes cinq sœurs. Ah, si j’avais aimé Bruxelles et la grand-place et si j’avais eu des sœurs ! J’aurais même aimé le Baujolais pour le plaisir de le partager s’il n’était pas arrivé le même week-end que les kriek parce que là, bonjour l’overdose. Et je suis une femme prudente. J’aurais aimé la mer en hiver si ma grand-mère ne m’avait pas dit…
Je n’aurais pas aimé les critères de poéticité, les critères de toutes sortes si je n’avais réalisé à quel point j’en ai besoin. J’aurais aimé le café sucré, si, à 17 ans, je n’avais pas décidé, un beau jour, que 2 sucres dans une tasse, ça fait beaucoup, à raison de 4 cafés par jour – 8 sucres – 28 cafés par semaine – 112 sucres – 120 par mois… calculez vous-mêmes les calories que cela représente. J’aurais aimé le joint si j’avais aimé la cigarette – mais là, pas d’espoir – la bonne volonté y était pourtant. Je n’aurais pas aimé les petites routes de montagne qui me font hurler de peur dans un 4/4 lancée à toute vitesse si mon fils n’avait pas décidé de s’y établir. Maintenant, je me dis que j’aime les petites routes de montagne et leurs tournants. Je n’aurais pas aimé les accidents ni les procès verbaux si Gérard n’était pas dans la police. Je n’aurais pas aimé les rapports, mais maintenant que je peux les écrire en vers. Je n’aurais pas aimé les files de voiture et les embouteillages mais, vous voyez, cela me permet de penser à Gérard. Je n’aurais pas aimé Bruxelles en semaine mais voilà, Gérard y habite. Et même la kriek Bellevue, avouez, franchement elle n’est pas terrible. Non, je n’aurais pas aimé mais Gérard aime la kriek Bellevue, alors…
Le pas cadencé La nonchalance au creux des reins La houle du dromadaire crée le rythme où s’enfoncer Une vacance à transporter
La caravane passe, ça oublie de penser Tout est corps Tout est feu, le roux, la flamme des sens, la dune qui se courge Et comme un point Un repère L’idée d’un palmier – le vertical qui s’oublie.
Tout est animal Se laisse emmener Traverser sans savoir, sans vouloir
N’être plus qu’une mélopée silencieuse Une méditation lente une essence
— Un parfum de mandarine me reste sur les doigts, ça pourrait être du jasmin — N’être plus rien Tout est animal ou végétal Au midi de l’expérience
Il n’y a plus de temps mais des jours et des jours qui s’allongent L’éternité est en avance Attendez-moi
De derrière la nonante neuvième dune Surgit un enfant Un mirage ? Une apparition ? Un petit prince ?
Là c’est le monde Là, c’est la terre Là, c’est l’Europe Et là, là, c’est chez moi
Aujourd’hui, 21e jour Tout s’étire et s’allonge. J’écris sans voir. J’écris pour voir. Le jour est doux. Paix sur la terre. Je vis. J’aime vivre.
Là, c’est le monde Là, c’est la terre Là, c’est l’Afrique Et puis, là, là, c’est chez toi
Aujourd’hui, 33e jour Tu plantes, tu vis, tu fais vivre Des arbres et encore des arbres Tu vas. La forêt s’ordonne, s’assagit, s’apprivoise Tu vas Et je crois voir la trace de tes pas
Là, c’est le monde Là, c’est la terre Là, c’est l’Europe Et là, là, tu vois, c’est chez moi
Aujourd’hui, 40e jour Deux pigeons s’ébrouent dans l’arbre Plumes et feuilles, ailes et branches, un battement ébouriffé Le temps va, j’aspire Je respire le temps comme un noyau serré Et l’heure prête à s’envoler
Là, c’est le monde Là, c’est la terre Là, c’est l’Afrique Et puis, là, là, c’est chez toi
Aujourd’hui, 55e jour Le soir tombe comme un couperet, vol des lucioles La chaleur descend. L’effervescence du jour également Une voix s’élève. Commence à conter. Le rêve. La nuit. Des mots qui portent et qui bercent. De longues histoires qu’on reprendra le lendemain.
Là, c’est le monde Là, c’est la terre Là, c’est l’Europe Là, c’est l’Afrique Et ici, ici, c’est chez nous
Petit déjeuner au soleil très oblique la table est encore mouillée l’herbe aussi Les glaïeuls rouges vifs Comment peuvent-ils être aussi vifs et si engourdis à la fois matin timide café et bouquin. Tiédeur. J’hésite à démarrer.
Ça pêche dans tous les tons de rose pâle, nouveaux rideaux, nouvelle peinture. Nouvel air. S’installer à un bureau tout neuf, dans l’odeur encore fraîche et prendre des résolutions. Plus jamais de papier traînant sur la table. Plus jamais ? Rien n’entamera au moins la perfection de cette minute-là.
Du haut de Saint-Maur, Tournai s’escamote dans le brouillard, se rétrécit, se racrapotte, a perdu la moitié de ses tours. Coup de soleil sur les 11h, déchirure. Saviez-vous que le gris de gris, le calcaire gris souris prenait parfois des noms dorés ?
L’aube joue d’épinette blanche sur friselis de brume
Et l’arbre est là, à musiquer ses ombres — mon enfant, mon feu-fleur, mon amour — Il n’y a concert qu’au vitriol. Ils ne mourront pas d’être trop raisonnables Peut-on confondre vapeurs et braises et mourir à petit flirt.
Pépites au carré du matin Puis terres et cuivres : ils piquent du bec un soleil roux Un cri pour un rire Et ça cymbale, ça siffle affolé de lumière Autant dire épines et clefs du ciel
Ecoutez, doux-amers, les écorchés du petit jour Balbutier Remercier Se consumer
Ô ma joie, dis-tu parfois
L’arbre ouvre tout grand ses bras — place à l’oiseau de passage —