Tu prends le mot « papier ».
Tu le prends en mains et tu le caresses du bout des doigts.
Tu le touches, tu l’empreintes, tu l’embrailles à l’éveuglette.
Tu le déchiffres du bout des doigts, de l’extrémité de la pulpe.
Tu reconnais – tu pars en reconnaissance.
Du lisse et du rugureux, du moiré, du ciré
Tu prends le mot « papier »
Et tu le prononces en claquant les lèvres, en tirant des bulles
Et le mot « papier » se met à palpiter, à pavoiser, à papelarder
À plier les syllabes — résonance du pa —
Tu prends le mot « papier »
Tu le délies, tu le détisses, tu le défibres
Et le mot « papier » se soutient du roseau
Et le mot « papier » résonne sur « papyrus »
Tu le déplies, tu le tires vers plus loin, tu dévides le fil
Arrive le mot « parchemin », qui s’enroule, s’apparente, s’enconconne pareillement.
Tu prends le mot « papier » et tu le chatouille de la plume, tu l’agaces, tu le fais frissonner, tu l’enquiquines.
Tu le noircis, tu l’enlumines, tu l’enlettrines
Et le mot « papier » se prend au mot, s’emporte, s’entortille
Oh, l’alchimie de l’encre et du mot, du verbe et du support
De l’image et de la matière
Tu prends le mot « papier, disais-tu ?
C’est lui qui te prends, qui t’absorbe, qui boit ta pensée
C’est le mot « papier » qui te vampirise, qui te suce tes mots
Tu prends le mot « papier » et oui !
C’était hier
Maintenant, tu prends le mot « texte » ou le mot « poème » ou le mot « œuvre »
Et tu les prends en mains
Tu les caresses du bout des doigts
Tu les touches, tu les empreintes
Tu les embrailles à l’aveuglette
Et tout est à recommencer
Mais où est donc passé le mot « papier » ?
Colette Cambier
2002